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Andre Levin et la Guinee

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Andre Levin et la Guinee Empty Andre Levin et la Guinee

Message  Admin Jeu 31 Jan 2008, 16:52

Andre Levin et la Guinee


J'ai représenté la France dans plusieurs pays passionnants, voire fascinants, et ceci à des moments historiques intéressants : Guinée-Conakry, Inde, Autriche, Sénégal et Gambie… Mais ma relation affective avec l'un d'entre eux, la Guinée, est exceptionnelle. Elle est indissolublement liée à ma carrière professionnelle et à ma vie personnelle. Et ceci depuis que j'ai pour la première fois posé le pied sur le sol guinéen, le 2 mars 1974.

Dans les années 70, j'étais porte-parole du secrétaire général des Nations Unies; j'ai mené, comme son représentant personnel, deux négociations dans lesquelles je me suis pleinement engagé. La première avait trait aux rapports entre l'Allemagne fédérale et la Guinée; elle a abouti, en juillet 1974, à la normalisation entre Bonn et Conakry et à la libération de trois Allemands, détenus depuis des années au camp Boiro.

La seconde concernait la Guinée et la France; pour qui connaît les péripéties des relations entre Conakry et Paris et leur dégradation depuis le "non" de la Guinée au référendum du 28 septembre 1958, ressenti – à tort à mon avis – par le général de Gaulle comme un affront délibéré à lui—même (et donc impardonnable, parce que fait à la France) dû à Sékou Touré, cette deuxième négociation fut évidemment plus difficile et plus longue. Elle se termina à la date symbolique du 14 juillet 1975, par la normalisation des relations diplomatiques et la remise en liberté d'une vingtaine de Français.

Quelques mois après, j'étais nommé ambassadeur de France en Guinée. J'étais fier d'obtenir une mission aussi délicate à 41 ans à peine; j'étais heureux aussi parce que ces multiples allers et retours entre Bonn, Paris, New York et Conakry m'avaient permis de servir l'ONU, à laquelle je reste très attaché, l'Allemagne, mon pays d'origine, la France, mon pays d'allégeance nationale, et la Guinée, qui était devenue un pays très proche de mon cœur.

Du côté français, j'avais bénéficié de la confiance vigilante du président Valéry Giscard d'Estaing (qui fit en Guinée en 1978 une éclatante visite d'État), des encouragements de François Mitterrand, et de l'appui de deux amis de Sékou Touré, le futur ministre Roland Dumas et le ministre André Bettencourt, qui vient de disparaître et dont j'avais été longtemps le chef de cabinet. J'avais en revanche perçu (et réussi à surmonter) les vives réticences de certains cercles proches du général de Gaulle (ce n'était curieusement pas le cas de Jacques Foccart, chargé pourtant par Sékou Touré de tous les péchés), et des milieux soucieux des droits de l'homme.

Du côté guinéen, j'ai eu la chance de bénéficier de la confiance et de l'amitié du président Sékou Touré; c'était la clé de toute mon action, parce que tout le monde en Guinée le savait. Certains disaient d'ailleurs avec un peu d'ironie : il a dit non à de Gaulle, et oui à André Lewin ! Bien sûr, j'étais lucide sur les débordements du régime et sur les exactions commises au nom de la Révolution, c'est à dire en son nom et en celui de ses proches. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, publiquement et en sa présence, en langage diplomatique, certes, mais très clairement. Pourtant il admettait ma franchise, ainsi que les contacts que je lui disais prendre avec l'opposition des Guinéens de l'extérieur, parce qu'il me considérait comme un ami et donc me faisait confiance.

Un peu candidement peut-être, je pensais que des relations renouvelées avec une France désormais bien disposée à son égard lui permettraient enfin de détendre l'atmosphère, de libéraliser le régime sur le plan politique et économique, de se réconcilier avec ses voisins du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, de faire revenir les exilés, de mettre fin aux violations des droits de l'homme, et de reprendre en Afrique et dans le monde la place qui aurait pu et dû être toujours la sienne. Cette évolution était bien esquissée, mais la mort n'a pas permis qu'elle soit parachevée. Je ne regrette pas d'avoir essayé. Et c'est l'Histoire qui jugera.
Pendant six années, j'ai sillonné ce magnifique pays, parcouru ses routes et ses pistes, découvert ses paysages si variés, séjourné dans les villes et les villages, admiré ses chants et ses danses, constaté son exceptionnel potentiel économique, et surtout estimé son peuple si attachant. J'y ai vécu quelques épreuves, dont une morsure de chien enragé, et surtout un sérieux accident d'automobile dont j'ai appris ultérieurement qu'il avait été manigancé par le KGB pour m'éliminer.

J'ai donc appris à apprécier et peut-être à comprendre un peu ce peuple tellement divers, qui ne semble malheureusement pas parvenir à surmonter les différences ethniques, religieuses, claniques, partisanes ou générationnelles, ni à se décider enfin à mettre de côté – ce qui ne veut pas dire oublier – les souffrances et les amertumes du passé pour s'attaquer résolument à la construction d'un avenir commun.

Depuis lors, je suis revenu plus de dix fois en Guinée (dont une fois aux côtés de Jacques Chirac). Je retrouve d'anciens amis et m'en fais de nouveaux. Je me désole en voyant ce qui se dégrade, me réjouis de ce qui progresse, et garde l'espoir – la certitude ? – que la Guinée connaîtra enfin 50 ans après son indépendance le bonheur, la paix et la prospérité que je lui souhaite, et que sans nul doute elle mérite.

Bref, j'ai été - et je suis encore - amoureux de la Guinée, des Guinéens (et bien entendu des Guinéennes). Et chaque fois que j'en repars, me reviennent nostalgiquement en mémoire ces vers de Léopold Sédar Senghor dans "Chants d'ombre" : "Demain, vous reprendrez le chemin de l'Europe, Chemin de l'ambassade, Dans le regret du pays noir."


André LEWIN
Ancien ambassadeur de France en Guinée (1975-1979),
Président-fondateur de l'Association d'amitié France-Guinée,
Membre du comité chargé de préparer les manifestations
du 50ème anniversaire de la Guinée


Une correspondance de Mohamed TOURE,conakry

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Date d'inscription : 13/01/2008

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